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Vesna Kovaèiæ
Progression 3 + 9 + 15, 1997.
polyester / acryl, 41 x 53 x 6 cm
right view
Vesna Kovaèiæ, Progression 3 + 9 + 15
16. VIII. 2002.
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A propos de la troublante Vesna Kovaèiæ
Parmi les jeunes artistes d'Europe de l'Sud-ouest, que nous découvrons chaque jour plus nombreux, il convient de s'attarder quelque peu sur Vesna Kovaèiæ. En effet son travail me paraît suffisamment personnel et solide, pour retenir notre attention et notre réflexion.
En effet, il est rare de trouver une artiste essentiellement préoccupée par le probleme de la perception. Non qu'il s'agisse ici d'une apologie, ou d'une illustration de la Gestaltphilosophie. Au contraire, il me semble que le propos s'inscrit dans une dimension spécifiquement plastique, et ludique.
Tout d'abord, on le constate, Vesna Kovaèiæ se réfere souvent a un concept "Ordre et Chaos", qui depuis la nuit des temps, a hanté toute cosmogonie, puis toute philosophie humaine, et les alchimistes et maintes sociétés initiatiques. De ce domaine, les Présocratiques grecs, dont nous nous inspirons encore aujourd'hui, n'avaient pas l'exclusivité. Et nous pouvons suivre les multiples avatars de ce concept, a travers les successives théories de la naissance de l'univers, de son organisation, de ses brusques basculements, des découvertes, qui ont tantôt conforté, tantôt fondamentalement remis en cause les idées, les conceptions "structurantes" ou au contraire "explosives" de l'univers, de Pythagore et Héraclite, jusqu'a l'astrophysique la plus contemporaine, en passant par les mythes d'Apollon et Dionysos...
Les oeuvres de Vesna Kovaèiæ participent a cette vision d'un monde tantôt apollinien, tanôt dionysiaque. Dans ses oeuvres (tout au moins celles des quelques quenze dernieres années environ), tout sujet proprement figuratif est soigneusement écarté. Il ne s'agit que de bandes en alternance noires et blanches juxtaposées, d'égale largeur, sur une surface perturbée. Cette surface évoque les plis d'une toile froissée puis mal dépliée. S'agit-il de la toile du support, ou une autre toile, qui serait comme un fragment d'un ensemble plus vaste ? Citation, extrait ou ensemble défini et clos?
Cette répartition tripartite peut évoquer, dans la tradition catholique, l'inévitable enchaînement "Enfer-Purgatoire-Paradis"... Alternance, inversion, permanence des proportions; palette chromatique réduite a la stricte opposition du blanc et du noir, démarche systematique comme le suggere le titre progression (telle Progression 3 + 9 + 15), que suivent des chiffres un peu énigmatiques... Nous pourrons etre dans une nouvelle étape du Minimal Art...
Mais Vesna Kovaèiæ s'en éloigne volontairement. Car ce langage, que bien d'autres ont tenu avant elle (Olivier Mosset, par exemple) refuse (jusqu'a une date récente) les séductions de la couleur, meme si celle-ci est systématique, ou délibérément aléatoire. Ce qui me semble particulierement intéressant, c'est ce recours au chaos, qui n'est pas un simple refus de l'ordre, de la symétrie, de la répétition d'une proportion, ni simple négation d'une regle immuable, mathématique, rigoureuse (et sans doute dogmatique). Au contraire, ce chaos me paraît éminemment positif, salutaire. Car il joue avec la trop grande rigueur des alternances régulieres, de bandes blanches et noires, qui pourraient engendrer la monotonie. Celles-ci, projetées sur un support froissé, dessinnent alors des sortes de courbes de niveau, les chemins tortueux, de largeur variable et imprévisible, puisque elle dépend du mouvement, de l'inclinaison de la surface du support. La démarche est donc ludique, et comme dans tout jeu, des regles sont établies: soit une surface S, froissée et ensuite dépliée, mais non aplanie. Que se passe-t-il si l'on projette un ensemble de rayures noires et blanches, élargissant tantôt les noires, tantôt les blanches? Ainsi se constituent des oeuvres a deux, ou trois ou quatre volets, ou chacun joue sa partition en solo, ou en contrepoint avec l'autre ou les autres élements, sans que l'on puisse dire qu'un de ces élements ni méme un secteur spécifique a l'intérieur de ces mémes élements, puisse revendiquer une quelconque mise en valeur.
Car le processus de mise en valeur est double: d'abord ce systeme interne qui, on vient de le voir, fait fonctionner cette oeuvre, mais il existe aussi un systeme externe qui inclut le spectateur.
Toute oeuvre, quelle qu'elle soit, ne reçoit un sens que par l'existence d'un spectateur, d'un auditeur, d'un lecteur. Elle peut etre la, mais elle naît au monde, ou elle n'est au monde que si un auire la reconnait, l'affirme, la justifie, ne serait-ce que par le simple fait de la nommer.
Dans le cas présent, les oeuvres de Vesna Kovaèiæ nécessitent un regard, celui d'un spectateur, et surtout d'un spectateur qui ne serait pas immobile, mais qui parcourerait l'escape extérieur de l'oeuvre, pour en découvrir l'espace intérieur. Dans les théâtres grecs, on le sait, une pierre ronde dans le sol, au centre de l'orchestre, renvoyait les paroles des acteurs avec une perfection telle que tous les spectateurs les entendaient a la perfection: l'immobilité de l'acteur étaít alors obligatoire. Les peintures classiques réclament, dans leur grande majorité, un point de vue frontal. D'autres présentent des déformations que répondent a un point de vue particulier : escalier, dessus de porte... Mais la lecture en demeure constamment possible et efficace: l'esprit tient compte de ces lectures perturbées. D'un autre cotéon connaît la fortune des anamorphoses anciennes ou contemporaines, chinoises ou européennes, érotiques, religieuses ou profanes, pyramidales, cylindriques ou coniques ... Mais toutes ont en commun une volonté de franchir la simple lecture immédiate, de proposer de nouveaux sens pour les initiés, ceux qui sauront trouver le bon point de vue. Ce qui est métaphore dans la découverte d'un domaine qui ne nous est pas familier (comment aborder V. Hugo, F. Céline; P. Cézanne, le Hard Edge ...?) devient ici stricte réalité, stricte nécéssité: comment trouver le bon point de vue, le bon angle de perception?
Car selon l'emplacement choisi par le spectateur, l'oeuvre (peinture, pilier, bas-relief) ne se donne pas a lire complétement du premier coup. Il faut la regarder de face, mais aussi de gauche, pour en comprendre la force, l'originalité, la dimension ludique. Le spectateur est donc convié a parcourirun certain chemin physique, en aller-retour, parallele a la longueur du tableau, pour s' apercevoir que ce qui était ligne verticale de iargeur constante devient alors une ligne tortueuse, d'une largeur irréguliere et imprévisible, pour ensuite reprendre son aspect normal. Comme chez Héraclite, le chaos, l'ordre ne sont jamais acquis, ils ne se définissent que comme deux situations, deux états temporairement et aléatoirement stabilisés.
Et ce chemin que doit parcourir le spectateur est aussi psychologique car lui seul permet de mesurer les modifications, les transformations de l'oeuvre, donc de la ressentir, et par conséquent de s'en délecter, s'engageant ainsi dans un autre niveau de lecture. S'entrelacent donc les dimensions physiques, psychologiques et esthétiques pour apprécier les oeuvres de Vesna Kovaèiæ.
Dans le bas-relief d'Ulm, apparaît la couleur: rouges et bleus saturés et dégradés, qui marque une nouvelle étape. Apres avoir repensé, avec une force et une originalité peu communes, l'héritage d'un certain art cinétique (je pense aux recherches de Victor Vasarely, de Bridget Riley, de Hartmut Bohm dans les années soixante) Vesna Kovaèiæ continue sa remise en cause du point de vue unique, de l'unicité de l'oeuvre, elle en souligne avec intelligence les possibilités de métamorphose, de surprise, en accentuant l'aspect festif, dionysiaque de ses créations, peut-etre trop discret derriere les alternances apolliniennes de noir et de blanc ? Quoi qu'il en soit, Vesna Kovaèiæ démontre, avec un humour raffiné, et une grande subtilité, que l'ordre et le chaos, (dont le monde extérieur nous apporte volontiers des exemples douteux), ne sont finalement que les créatoins (éphemeres ?) du spectateur, celui qui accepte de faire quelques pas a coté de cette artiste remarquable, aux oeuvres si troublantes, comme le miroir de l'eau.
Bernard Fauchille, Directeur des Musées de Montbéliard
 
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